« Des portes de secours sont ouvertes là-bas
Il suffit de pousser un peu plus rien qu'un geste... »
Textes & musiques : Léo Ferré
Sauf texte : François Villon & Léo Ferré (Frères humains, l'amour n'a pas d'âge)
Léo Ferré, piano & clavier analogique
Guy Lukowski, guitare
Afonso Vieira, percussions
Orchestre symphonique de la RAI-Milan
Orchestrations & direction musicale : Léo Ferré
Prise de son : Paolo Bocchi (pistes 2, 4, 8), Jan Vercauteren (pistes 1, 3, 5-7)
Production & réalisation artistique : Léo Ferré
Crédits visuels : André Villers (recto), Olivier Bernex (verso)
Enregistré le 11 février 1979 (pistes 2, 4, 8) au Studio Regson (Milan, Italie) et en août 1980 au Studio Fonior (Bruxelles, Belgique).
Publié en décembre 1980 par RCA.
Cet album est également disponible dans le coffret La Marge : intégrale 1975-1991.
« L'époque est lamentable, grise, flasque, moite... Les gens se laissent trop avoir. Tout ce qu'on veut leur faire avaler, ils l'avalent ; on les mène par le bout du nez. Ils ne sont pourtant pas bêtes ; mais on leur martèle tant de slogans et de publicité qu'ils finissent par en être imprégnés. » Voilà ce que Léo Ferré disait au Nouvel Observateur en décembre 1980 (toute ressemblance avec une époque « lointaine ou plus présente » serait dépendante de notre volonté...).
Les utopies collectives sont mortes. Le capitalisme se réinvente sous les atours individualistes d'un néo-libéralisme sociétalement libertaire et économiquement violent. Mascarade festive autophage, en avant marche ! Et tous les démissionnaires, et tous les suivistes, et tous les irréfléchis, supplétifs du fric et de la frime, de grappiller égoïstement leur jouissance, consommant sans plus se préoccuper de rien.
C'en est trop pour le Bon Samaritain, que cette soumission collective révulse. Bien que totalement désillusionné quant à la portée de son ire poétique, Léo Ferré n'a pas d'autre choix que de retourner au combat, « comme une esthétique de la solitude », renouant avec la violence énonciative, seul recours artistiquement et moralement valide contre la glu infâme des tournures falsifiées. Ce dont il s'acquitte éloquemment avec l'électrochoc d'ouverture de son album, balancé jadis a cappella aux enragés de 68, aujourd'hui tendu à contretemps comme un miroir d'outre-saison.
Cependant, Léo Ferré a tôt fait de rejoindre le prince Hamlet dans son dégoût fasciné pour le langage, approximatif dans l'accordage des êtres que l'amour traverse, oiseux en dernier ressort face aux mitraillettes. La tristesse durera toujours ; rien ne sert à rien. Déblayer autrement « l'ordinateur neurophile qui vous sert de cerveau », oui... mais comment ?
Hasard du calendrier ou nécessité interne, Ferré rompt avec ses habitudes de travail et nous propose un album dominé par les « soleils mouillés » du piano et de l'orgue électrique. Il renoue à cette occasion avec la technique du re-recording inaugurée de façon pionnière en 1955 avec Pauvre Rutebeuf et qu'il pousse ici plus loin, superposant jusqu'à cinq parties de claviers distinctes. Cette nouvelle sobriété timbrique rend sa musique immédiatement accessible et touchante de simplicité. Comme un retour aux sources.
The ocean is the ultimate solution. Aux confins de l'éternel intramarin et du sexe sublime, la longanimité du poète et l'eurythmie prennent le dessus, qui nous commandent de ne point durcir notre cœur. La mer se lève !... Il faut tenter de vivre. Et si t'as pas bien compris, tu peux toujours aller faire un tour en 1462, du côté de Montfaucon.
Alaric Perrolier – 2017