« Si je ne vous mets plus, vous pourrez toujours dire au fripier qui vous recueillera plus tard :
“J'ai appartenu à un musicien qui a dirigé un concert dans sa vie et qui n'a pas été fichu
d'en diriger un second.” Et voilà, on vous louera, vous sortirez beaucoup parce que vous êtes beau. Et puis, un jour, tout finira pour vous aussi ; il en est des habits comme des hommes,
ils s'usent, ils s'usent, ils s'usent... »
95 pages. Couverture souple illustrée (lettrage : Charles Szymkowicz). 130 x 170 mm.
ISBN : 9782951939653
Publié le 24 mai 2006 par La Mémoire et la Mer, collection Les Étoiles.
ÉPUISÉ
En octobre 1956, sur une petite feuille cartonnée faisant office alors de papier-toilette, Léo Ferré dactylographie une courte lettre destinée à un critique d'art qui vient d'éreinter La Nuit, son ballet lyrique. Depuis le XVIIIe siècle et jusqu'à récemment on avait pour usage de s'essuyer avec le journal. Sans jamais se départir d'une impeccable civilité de style, Léo joint donc l'article du critique à son épître et invite ce dernier à se « torcher la cervelle » avec la feuille qu'il lui plaira, et possiblement dans sa propre prose. Un petit bijou de férocité périphrastique, d'humour littéral et de violence symbolique retournée. La « lettre » fut-elle envoyée ? Peu importe, le ton est trouvé.
Début 1957, l'amitié entre Léo Ferré et André Breton se brise. Léo rédige à chaud un texte cathartique où il s'adresse à Breton, jamais nommé mais aisément reconnaissable ; les griefs qui s'y accumulent n'ont pas vocation à vider leur querelle dans l'espoir d'une réconciliation, comme le feraient deux amis dans l'intimité d'un vrai échange épistolaire, mais plutôt à mettre en scène la déconsidération du destinataire pour mieux « innocenter » l'auteur du texte et lui permettre de passer à autre chose. Cette « lettre » a-t-elle été envoyée ? Sans doute pas, sa visée est ailleurs.
À l'été 1957, Léo se rend en Bretagne et se fend d'une déclaration d'amour à la mer... qu'il s'invente en être conscient, mélancolique et insoumis. Confidente de sa condition de solitaire, cette « mer cavaleuse » le fascine et l'inspire. Ici, Léo entrevoit la possibilité d'un livre : des lettres ouvertes, adressées à des objets inanimés que sa fantaisie particulière personnifierait en symboles vivants, tremplins de ses emballements et de ses antipathies, et à quoi s'identifier. Ce livre ne verra pas le jour mais le principe est acquis.
L'impérieux besoin de rendre au centuple les coups reçus, l'obsession de la posture morale, le goût des miroirs et du soliloque... Autant de caractéristiques qui irriguent la quinzaine de textes en prose ici rassemblés comme un portrait chinois. Écrites entre 1956 et 1962, ces « lettres » tantôt autobiographiques, tantôt pamphlétaires ou tendrement méditatives, sont une invitation à découvrir un Léo Ferré atypique et secret...
Alaric Perrolier – 2016