L'Opéra du pauvre

« Écoutez, Maître, je ne prise pas beaucoup vos apartés poétiques...
Mais tout n'est qu'aparté ! Le reste ? Triste réalité ! »

Textes : Léo Ferré (en collaboration avec Madeleine Rabereau pour La Nuit)
Musiques : Léo Ferré, Tomás Luis de Victoria (Motet n°12 O vos omnes, qui transitis per viam. Orchestration pour cordes de Léo Ferré)

Orchestre symphonique de la RAI-Milan
Giuseppe Magnani, violon solo
Léo Ferré, piano

Orchestrations & direction musicale : Léo Ferré
Prise de son & réalisation : Paolo Bocchi
Production & réalisation artistique : Léo Ferré
Crédits visuels : Marina Marcantonio (dessins), Alain Marouani (photo)

Enregistré du 10 au 20 avril et le 10 juillet 1983 au Studio Regson, Milan (Italie).
Publié en octobre 1983 par RCA.

Cet album n'est disponible à l'achat que dans le coffret La Marge : intégrale 1975-1991.

En 1956, Léo Ferré écrit et compose le ballet lyrique La Nuit à l'instigation du chorégraphe Roland Petit, croisé lors d'un dîner mondain chez Louise de Vilmorin, grande admiratrice de Ferré. Il crée une impertinente fantaisie animalière ayant pour argument le procès de la Dame Nuit par les exécrables gens du Jour, qui veulent la faire condamner à mort pour avoir soit-disant assassiné la Dame Ombre. Musicalement, Ferré joue le jeu d'un certain jazz. La danseuse étoile Zizi Jeanmaire, se voulant chanteuse, tient le rôle-titre. Le fougueux Michel Legrand est à la baguette. Les choses se montent hélas dans la précipitation, sans égards pour le compositeur, et le résultat scénique est approximatif. La presse a la dent dure, qui ne comprend goutte à cette forme hybride, entre ballet, théâtre et cabaret. Petit lâche courageusement Ferré, déprogramme tout. Un four.

Léo sauve son livret du naufrage en le faisant paraître illico chez La Table Ronde, qui doit publier son premier recueil de poésie. Puis la cendre retombe. Dix-sept ans plus tard, Léo Ferré se replonge dans la partition, enregistrant un filage piano-voix aux studios Barclay. D'autres chantiers cependant le requièrent plus instamment. C'est en 1982 qu'il prend La Nuit à bras le corps pour cette fois en faire... une œuvre autre.

Le propos se densifie, s'intensifie et se diversifie, indifférent à la dramaturgie courante, guidé par la seule poétique du collage, qui atteint ici son summum. Il serait trop long d'en détailler les ajouts et les métamorphoses, Léo Ferré multipliant les témoins à décharge comme autant d'allégories destinées à nous rendre haïssable le conformisme et désirable la subversion par l'imaginaire. Le Romantisme déjà s'était intéressé à la nuit par le biais du songe, tremplin d'un autre rapport au monde réel, où la subjectivité primait sur la rationalité. Ici, Ferré fait sienne cette nuit comme espace psychique en choisissant d'interpréter à lui seul tous les protagonistes de son petit théâtre judiciaire !

Loin d'être un caprice mégalomane, un pis-aller de marginal sans contacts ni moyens, un repli de solitaire fatigué de devoir convaincre autrui, ce choix improbable, s'il rend le premier abord du « discours » parfois ardu, est l'indispensable « folie » pour que tout prenne sa juste et merveilleuse mesure, pour que cette œuvre-monde soit propulsée au rang des créations les plus singulières et les plus passionnantes du génie ferréen. Tout comme il était revenu à l'énonciation changeante d'une voix unique dans La Chanson du mal-aimé, Léo Ferré nous plonge ici dans une « transe » onirique qui sert parfaitement son propos, écheveau de voix intérieures allant débattant et soliloquant le long d'une longue nuit pour finir aux premières lueurs d'une aube nouvelle. On ne saurait s'initier aux valeurs de la Nuit sans désapprendre le Jour en soi. La venue de l'éternel printemps demande cet effort-là.

Profession de foi définitive contre une société aliénante, grand œuvre oraculaire à tiroirs, forme insituable, à la fois synthétique et digressive, sans cesse désorganisée et pourtant puissamment cohérente, chef-d'œuvre méconnu de Léo Ferré, drolatique et profond, brassant toutes ses facettes, L'Opéra du pauvre est sans doute l'aboutissement de sa trajectoire d'artiste. À (ré)écouter de toute urgence.

Indisponible à la vente depuis le mitan des années 90, cet album-concept sort enfin du tunnel, indexé pour votre aisance d'écoute en suivant pour la première fois le découpage voulu par Léo Ferré, et ce, jusqu'en l'an de l'An dix mille.

Alaric Perrolier – 2022

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