« Les plus beaux chants sont des chants de revendication. Le vers doit faire l'amour
dans la tête des populations. À l'école de la poésie, on n'apprend pas : on se bat. »
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168 pages. Format poche. 108 x 178 mm.
ISBN : 9782757824702
Publié le 24 mai 2013 par Points.
Première édition : janvier 1957, La Table Ronde.
Léo Ferré n'est pas du genre à aller toquer aux portes. Cependant il se force parfois ; en juillet 1953 il envoie un tapuscrit aux jeunes Éditions Robert Laffont. Depuis un an l'artiste caresse le projet de publier un livre, recueil des poésies qu'il écrit depuis plusieurs années en parallèle de ses chansons. Après avoir essuyé un refus poli, il a des ouvertures chez Denoël. Et de tenter sa chance à l'automne 1954, non sans avoir enrichi son recueil de nouveaux textes. Début 1955 l'éditeur se dérobe, invoquant des prétextes oiseux. On semble regretter « certains mots déterminés, […] qu’ils soient techniques, médicaux, populaires ou argotiques » et on voudrait bien lui faire inclure les textes de ses chansons à succès, à croire que Léo Ferré n'est envisagé par les gens de lettres que comme une opportunité commerciale. Ferré veut être reconnu comme authentique poète, il refuse.
Sa relation amicale faite d'admiration réciproque avec André Breton lui laisse alors un temps espérer que l'illustre écrivain voudra bien lui faire don d'une préface-viatique mais ce dernier, après avoir accepté, après avoir lu le recueil, lui intime ce lugubre et assez énigmatique « conseil » de ne jamais faire paraître ledit recueil, « même en danger de mort ». Ferré ne s'en laisse pas conter et finit par atterrir chez La Table Ronde en 1956, jeune maison d'édition droitarde qui s'est fait connaître pour publier ceux qu'on appelle les « Hussards » – la « compagnie Blondin and Clowns » – mais aussi Anouilh, Giono, Mauriac. Ferré s'accommode du voisinage et son livre arrive sur les étals début 1957, retardé entretemps par le sauvetage du livret de son ballet lyrique La Nuit.
Hélas, la reconnaissance littéraire, dont le rapprochement avec Breton laissait augurer, se dérobe. La préface rentre-dedans que Léo s'est mitonnée lui-même, où s'exprime de façon lapidaire ce qu'il pense de la poésie et des poètes contemporains, pré-publiée avec des coupes dans l'hebdomadaire Arts sous le titre polémique En France la poésie s'est sabordée, va secouer le landernau surréaliste, consommer sa rupture avec Breton, et faire écran à une réception un tant soit peu attentive de son recueil, « manifeste de l'espoir » finalement peu lu.
Livre de refus et de dérision, Poète... vos papiers ! rend les rictus et les coups. Le poète y équarrit l'omnipotence du Veau d'or et la tartufferie de la vie sociale mais résiste au climat de nihilisme littéraire des Lettres françaises d'après-guerre, par un chant d'amour viril, tendre et fraternel. Un pied dans le classicisme de la forme, un autre dans la trivialité la plus provocatrice, éminemment personnel sinon impudique, Ferré se moque de l'académisme poétique, de la sensiblerie-guimauve, des procédés modernistes masquant le manque d'inspiration, et en digne héritier d'Apollinaire nous livre le carnet de bord de son mal de vivre et de son émancipation, répondant en un sens aux exigences de prise de risque autobiographique d'un Michel Leiris (De la littérature considérée comme une tauromachie), ce qui lui vaudra le dégoût horrifié et l'incompréhension totale de son père, bigot et potentat premier.
Léo puisera dans ce recueil matriciel la matière de plusieurs chansons, préalablement à la publication ou ultérieurement, en 1958, 1966, 1969, 1970, 1971, 1982, 1986, 1992... Nous ne disposons pas des droits pour vous proposer ce livre en tant que tel à l'achat. Cependant ses quelques quatre-vingt poèmes sont désormais tous repris dans Les Chants de la fureur.
Alaric Perrolier – 2017-2022