« Muss es sein ? Es muss sein !
Cela doit-il être ? Cela est ! »
Musique : Léo Ferré
Sauf : Maurice Ravel (Concerto pour la main gauche)
Orchestre philharmonique de Liège, Chœur du Théâtre Royal de la Monnaie & Orchestre symphonique de la RAI-Milan (piste 1), sous la direction de Léo Ferré.
Dag Achatz, piano
Jeanne Thierry, soprano
Prise de son : ?
Coordination musicale : Detto Mariano (piste 1)
Crédits visuels : Patrick Ullmann
Texte de présentation : Léo Ferré
Enregistré entre le 23 et 25 septembre à ?, Bruxelles (Belgique), et en octobre 1975 au Studio Phonogram (piste 1), Milan (Italie).
Publié en novembre 1975 par CBS.
1.
Concerto pour la main gauche
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2.
Muss es sein ? Es muss sein !
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3.
Love
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4.
Requiem
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5.
La Mort des loups
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Cet album est également disponible dans le coffret La Marge : intégrale 1975-1991.
Voici un album tout à fait inhabituel dans le parcours de Léo Ferré, un album de circonstance, qui délaisse temporairement le monde de la chanson pour mieux parapher une année en forme d'apothéose intime pour l'artiste.
1975 voit Léo Ferré accéder à son plus grand désir, à savoir la direction d'orchestres symphoniques en compagnie desquels donner des concerts : en Suisse avec l'Institut des Hautes Études Musicales de Montreux, en Belgique avec l'Orchestre symphonique de Liège et les chœurs du Théâtre Royal de la Monnaie, puis en France au Palais des Congrès de Paris, en compagnie de l'orchestre Pasdeloup. Le Ferré komponist et le Ferré chanteur se réunifient dans la folle surrection d'un rêve de gosse et d'une souveraineté d'adulte.
Léo, tout d'audace et d'inconsciente jeunesse, chante et dirige l'orchestre en même temps, périlleuse dissociation qui n'avait jamais été tentée auparavant et ne sera jamais tentée après lui. Le risque artistique est important. Dans ces spectacles faisant dialoguer des mondes qui habituellement s'ignorent, Léo donne son oratorio sur La Chanson du mal-aimé de Guillaume Apollinaire et mêle à ses chansons récentes et inédites des œuvres de Ludwig van Beethoven et de Maurice Ravel, figures tutélaires de ses chamboulements d'enfance.
L'engouement, pour ne pas dire la hype, qui entoure Ferré depuis Mai 68 n'a pas faibli, mais... le public français va-t-il franchement se déplacer pour assister à un spectacle aussi hybride et différent du Ferré qu'il connaît et apprécie ? Pour assurer le coup et appuyer sa rentrée parisienne, Léo doit sortir un nouvel album. Malheureusement, depuis qu'il a quitté la maison « de tolérance » Barclay pour aller finalement chez CBS (où l'herbe ne s'avèrera pas plus verte), une clause de son ancien contrat l'empêche d'enregistrer sa voix pendant deux ans. Léo invente alors un stratagème bien dans sa manière afin de contourner ce qu'il vit comme une énième forme de censure : en même temps que son disque « muet » paraît un disque au répertoire presque identique, chanté par son amie Pia Colombo, à qui Léo a demandé d'être « sa » voix (voir Pia Colombo chante Ferré 75).
L'an 1975 fête par ailleurs le centenaire de la naissance du « magister aux mains de fées » : le ci-devant Ravel, dernier grand lyrique de la musique occidentale selon Léo. En faisant figurer le Concerto pour la main gauche sur son disque, Ferré dépose lui aussi sa rose, quand bien même les gens du sérail lui font bien sentir qu'il n'est pas des leurs et ne le sera jamais. Les mélomanes sérieux pourront juger aujourd'hui de la validité et de la personnalité de la direction ferréenne dans cette œuvre consacrée du répertoire. Et si cet album ne retranscrit pas l'expérience prométhéenne des concerts d'alors, il nous dit néanmoins ceci : la beauté, parfois, se passe très bien de mots.
Alaric Perrolier – 2016