Je te donne

« Et cette clé à remonter qui dit “je t'aime”... »

Textes & musiques : Léo Ferré
Sauf musique : Ludwig van Beethoven (Coriolan)

Orchestre symphonique de la RAI-Milan
Chœur non identifié

Orchestrations & direction musicale : Léo Ferré
Prise de son : Davide Marinone
Coordination musicale : Detto Mariano
Crédits visuels : Henry Hoffmann (recto), Danièle Diaz (verso)

Enregistré du 22 au 26 juin 1976 au Studio Phonogram, Milan (Italie).
Publié en octobre 1976 par CBS.

Cet album est également disponible dans le coffret La Marge : intégrale 1975-1991.

« Amour, amour, amour ! Voilà l'âme du génie, » écrivait Mozart. Avec cet imposant éloge du lento moderato, Léo Ferré entérine le triomphe de l'Amour. Amour des siens, de sa compagne, des innocents condamnés à mort, amour de l'Amour, de la fixité, du silence. Amour du sacrilège aussi, qui moque la sur-valorisation de l'amour et conspue celle du rite musical bourgeois. L'irradiance ferréenne reflue du langage verbal, impuissant à modeler le monde réel, vers la Musique, utopie première et dernière. Rendu au sol, le poète se réinvente pour se survivre, fermant le ban de l'éloquence, drainant son cours dans l'horizontale intransitivité de la beauté des choses, guidé par la seule sublimité du Sentiment et sa cyclopéenne passion de l'orchestre qui désormais seule l'élève.

Le musicien prend le risque de l'hétérogénéité — d'aucuns pourraient s'étonner de la présence d'une pièce de Ludwig van Beethoven dans un album de ses chansons — pour affirmer haut et fort son dédain du cloisonnement et l'unité fondamentale de la musique. Et par ricochet son droit à exister dans celle-ci, quoi qu'en puisse penser l'establishment musical qui le rejette. Au passage et entre nous : sa lecture de Coriolan vaut bien celles de maints « professionnels de la profession ».

Léo ici enregistre ses musiques avec l'orchestre symphonique de la RAI plutôt que de réutiliser les versions instrumentales de Ferré muet..., peut-être pour raisons contractuelles, peut-être par volonté de revenir sur ses partitions. Léo Ferré a toujours travaillé vite, dos au mur ; ces circonstances d'exception lui donnent l'occasion assez unique de réviser des orchestrations officialisées, de façon parfois drastique, comme si les chansons avaient pris le temps de mûrir malgré lui, amenant de nouvelles intentions, repoussant les limites du grandiose.

On notera à ce titre deux changements significatifs : aux choristes virtuoses et caméléons du circuit parisien Léo substitue un chœur classique à large effectif, litière de son désir de monumentalité opératique. À la réverbération parfois excessive voulue par son ex-directeur artistique Richard Marsan, une prise de son plus naturelle est désormais privilégiée. La voix se fait plus proche dans l'image sonore. Si la grandeur demeure, une sensation nouvelle d'ensoleillement ici nous saisit.

Comme pour tenir le pas gagné, Léo sortira rapidement une déclinaison italienne intitulée La musica mi prende come l'amore.

Alaric Perrolier – 2016

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