À toute histoire son origine. Voici donc, avec 68 ans de décalage, celle de Léo Ferré sur scène : son tout premier concert jamais enregistré, ici par la radiodiffusion française grâce à l'entregens de l'infatigable Francis Claude, et diffusé dans le cadre de l'émission Théâtre au Quartier Latin du 2 juin 1950. Public attentif mais réduit, prestation courte mais précieuse, qui nous plonge dans la première manière de l'artiste, façon « petit âne bêlant » (soit-disant).
À ce moment-là, Léo Ferré a 33 ans. Il passe des disques de musique classique russe à la radio, n'a encore rien enregistré qui soit commercialement diffusé, n'a pas trouvé son sésame, hésite ; il n'est qu'un baladin parmi les baladins dans l'obscurité-néon où son hululement s'en va glaner l'artiche « à bout portant », au gré du bon vouloir des maîtres du biz pour qui débute, à savoir les tauliers (« Et le whisky tant, et le gin-fizz tant, et le citron pressé tant... Et mon citron pressé ? »). Vingt-trois ans plus tard, alors que tout cela se sera transformé en mythologie, Ferré se remémorera sans nostalgie aucune cette période affreuse de méconnaissance dans
Et... basta !.
Pour l'heure, Léo bénéficie de l'esprit d'entreprise de son camarade Francis Claude, boute-en-train touche-à-tout et finaud qu'il a connu à Radio Monte-Carlo pendant l'Occupation. Tous deux conçoivent des chansons ensemble (
L'Île Saint-Louis,
La Vie d'artiste,
Le Métro...) ; Claude croit dans le talent de Ferré et l'aide à joindre les deux bouts en le programmant autant que possible dans ses émissions de radio, donnant lieu à la création de
maintes chansons pour l'occasion. Le mutin binôme ouvre le cabaret Quod Libet en 1948, crée Le Trou rue Champollion en 1949, lancera le plus durable Milord l'arsouille, qui verra plus tard Gainsbourg débuter. À chaque fois Léo y est l'artiste résident, jusqu'à la brouille avec « Judas » (voir
Les Années blêmes). Ce n'est pas le moindre des mérites du présent enregistrement que de documenter ce compagnonnage, important pour Léo Ferré à ses débuts.
Léo diffusera cette même année 1950
La Vie d'artiste,
Le Flamenco de Paris et
L'Inconnue de Londres sur
78 tours. Puis
Monsieur William et
Les Cloches de Notre-Dame sur son
premier album, trois ans plus tard.
Madame Angleterre sera partiellement incluse dans l'œuvre patchwork
De sacs et de cordes début 1951 mais jamais enregistrée en tant que telle par Léo Ferré en studio.
Ce mini-concert inédit n'ayant pas trouvé sa place dans le déjà volumineux coffret La Vie moderne (1944-1959), nous le mettons à votre disposition ici en téléchargement gratuit. D'autres publications de ce type (gratuites ou non) devraient suivre ; inscrivez-vous à notre lettre d'information pour en être avertis.
Alaric Perrolier – 2018