La Chanson du mal-aimé (1957)

« Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir »

Texte : Guillaume Apollinaire
Musique : Léo Ferré

Orchestre National de la Radiodiffusion française & Chœurs Raymond saint-Paul, sous la direction de Léo Ferré

Chanteurs solistes :

  • Camille Maurane (le Mal-Aimé)
  • Michel Roux (le Double)
  • Nadine Sautereau (la Femme)
  • Jacques Petitjean, des Petits Chanteurs à la Croix de Bois (l'Ange)

Récitante : Madeleine Rabereau (version originale)

Prise de son : ?
Production exécutive : Édouard Dory
Crédits visuels : Hervé Morvan (illustration), André Villers (photos)
Texte de présentation (édition originale) : Madeleine Rabereau

Enregistré en mai-juin 1957 au Palais de la Mutualité et au Théâtre des Champs-Elysées (?), Paris (France).
Publié en 1957 par Odéon.

Cet album n'est disponible à l'achat que dans le coffret La Vie moderne : intégrale 1944 - 1959. Vous pouvez vous procurer ci-dessus la partition piano-voix de l'oratorio.

Depuis la création de cette Chanson du mal-aimé à l'Opéra de Monte-Carlo grâce au coup de pouce discrétionnaire de son compatriote le Prince Rainier III, Léo Ferré n'est pas parvenu à la faire exister sur une scène parisienne, passage obligé pour qui veut se faire admettre dans le landernau classique français. Il est vrai que l'œuvre nécessite de larges effectifs orchestraux et choraux. A défaut de la faire entendre au concert, Ferré va saisir l'opportunité de lui donner une existence pérenne par le disque, fomentant d'une main de maître sa revanche sur cette intermédiation qu'il abomine, directeurs musicaux de théâtres ou caciques de comités ; autant de gens à supprimer demain matin.

On sait l'aversion de Ferré pour la musique morte. Ce Mal-Aimé ne lui aura pas été « dicté » en deux heures comme Avec le temps ; ce gros morceau lui aura imposé la servitude d'une année entière de labeur, assiduité créatrice contraire à sa nature. Aussi renonce-t-il sans hésitation à l'argent qu'Edouard Dory lui propose lors du renouvellement de son contrat chez Odéon et lui demande-t-il de financer plutôt l'enregistrement de son oratorio avec l'orchestre de la Radiodiffusion française, pour l'amour de l'art. Par un ironique tour de passe-passe lié à des obligations contractuelles entre maisons de disques et l'institution, cet excellent orchestre qu'on lui refusait hier se retrouve à la disposition de la « mauvaise graine » Ferré. Et voilà. La vengeance est un plat qui se mange froid.

Guidé par son sens musical, un certain opportunisme et le désir de se raccorder à une « famille » esthétique, Léo Ferré sollicite les barytons Camille « Pelléas » Maurane et Michel « Golaud » Roux, tous deux consacrés par leur récente interprétation de l'opéra chéri de Debussy, à en faire oublier Désormières. Et de reconduire la soprane Nadine Sautereau, ravélienne à sortilèges déjà présente lors de la création, et de remplacer le copain Jacques Douai, battu par l'extrême aigu, pour un soliste des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, chœur d'enfants réputé pour ses voix cristallines.

Et c'est sans doute ce qui surprendra en première écoute l'auditeur innocent d'aujourd'hui : non seulement Ferré est vocalement absent de ce disque, mais le poème d'Apollinaire est « dramatisé » par la circulation de la parole entre quatre « rôles » archétypaux au risque d'être littéral ? Né des contingences de la scène il était alors inconcevable de faire chanter trois cents vers à une seule personne pendant trois quarts d'heure , ce parti-pris discursif que l'on doit à l'épouse de Léo Ferré témoigne d'une subtile critique poétique, au sens où Louis Aragon l'entendait, de celle qui éclaire par un choix artistique la palpitation interne du poème, ici ses tiraillements. Ainsi : au Mal-Aimé l'expression du « je » souffrant, au Double la part sombre, insidieuse ou explosive, à la Femme l'évocation de l'hiver et des destinées tragiques, à l'Ange enfin l'innocence bucolique, l'espoir de la sérénité cosmique, la sublimation des amours mortes dans la création poétique.

Enregistrement de qualité, chant d'une grande clarté, cette onirique complainte a remarquablement bien vieilli. Pour sûr, les musicologues trouveront toujours à redire ; que tout cela est maniériste et d'un conservatisme de mauvais aloi, et que Léo Ferré est un sot d'écrire pour l'orchestre et la voix comme s'il vivait au début du vingtième siècle, et certes cette musique est habitée par la nostalgie d'un temps révolu de la musique française, dont Ferré sans doute se sent orphelin. On leur rétorquera que la qualité d'une composition ne se juge pas exclusivement à son caractère novateur la justesse et l'intensité de l'expression comptent ! Et je dis que l'éclatant génie chantant de l'œuvre, ses juxtapositions rapides, pures de toute scholastique, sa profonde intelligence musicale de la poésie, toujours au service de l'émotion et du sens, sont des accomplissements que seuls les pisse-vinaigres les plus idéologisés pourraient encore vouloir ne pas reconnaître.

Quinze ans plus tard, Léo Ferré donnera une nouvelle version de son oratorio, plus âpre, plus vibrante, plus ferréenne, puis l'interprétera sur scène avec différents orchestres jusqu'au soir de sa vie.

Alaric Perrolier – 2022

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