« Il y avait des musiciens qui m'avaient connu jeune, et des musiciens qui commençaient à être près de la retraite, qui m'avaient connu enfant. Et je me suis mis à diriger ça. Et alors, ça a été pour moi extraordinaire. Je crois que c'est la plus grande joie artistique de ma vie. »
Texte : Guillaume Apollinaire
Musiques : Léo Ferré
Symphonie interrompue :
La Chanson du mal-aimé :
Prise de son : Radio Monte-Carlo
Conception & réalisation : Mathieu Ferré & Alain Raemackers
Crédits visuels : Serge Jacques - studio Harcourt (photo), Alaric Perrolier (graphisme)
Enregistré en public le 29 avril 1954 à l'Opéra de Monte-Carlo. Publié pour la première fois sur disque le 7 avril 2006 par La Mémoire et la Mer.
1.
Symphonie interrompue : I. Allegro
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2.
Symphonie interrompue : II. Andante - Scherzo - Andante
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3.
Symphonie interrompue : III. Scherzo
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Note : la Symphonie interrompue est toujours disponible sur support physique dans le coffret La Vie moderne : intégrale 1944 - 1959.
Voilà bien longtemps, un certain soir d'avril 1954, dans la balnéaire cité-état au baccara chantant, Léo l'enfant du pays, Ferré fils, Ferré le fils, vint en habit donner vie à son rêve d'infant. Grâce aux libéralités mélomanes du Rocher, lors de cette soirée « privatisée » à l'opéra — lequel poursuivrait sa saison tel le paquebot indifférent — l'outsider instaura son éphémère principauté de komponist sur l'assistance, conquise. Sous la scrutation de la Musique-reine ce fut lui et lui seul qui tint le démiurgique bout de bois, lui qui triompha, et ce fut lui qui peu après déchanta (voir La Chanson du mal-aimé de 1957).
Capté et retransmis en différé par Radio-Monte-Carlo, ce concert depuis longtemps évanoui dans des brumes mythologiques a pu surgir d'un demi-siècle d'oubli grâce à la ténacité des Éditions La Mémoire et la Mer, désireuses de retrouver et porter au grand jour cet avènement. Ici un autre chemin, une autre vie auraient pu se dessiner pour Léo Ferré si les hommes n'avaient pas été les hommes.
Ce concert d'outre-trépas nous révèle La Chanson du mal-aimé dans sa version inaugurale et l'on remarquera qu'en 1957 Léo modifie légèrement son orchestration ainsi que l'attribution de certaines parties vocales, des passages chantés par la Femme étant confiés à l'Ange. L'image sonore est naturelle, l'orchestre et les voix sont équilibrés ; compte tenu des limites techniques inhérentes aux captations de cette époque, l'oratorio ici a été bien enregistré. Cela importera aux mélomanes.
Nous découvrons par ailleurs une œuvre totalement inédite : La Symphonie interrompue. Écrite dans l'urgence, plus brusque et moins colorée que l'oratorio, cette œuvre met en scène l'affrontement du rythme et de la mélodie. La troncature et le télescopage des thèmes présentés sous la forme dégradée de clichés musicaux semblent vouloir parodier certains procédés utilisés ad nauseam par les musicastres du premier vingtième siècle, dans une sorte de confusion ironique. Léo y substitue en dernière instance un bel adagio processionnel et un chant monodique « intérieur », noble et mélancolique, signant par là une profession de foi sur la primauté du thème contre les Modernes, dans la droite ligne de ses récente prises de positions critiques à la radiodiffusion (voir La musique souvent me prend... comme l'amour).
Dans les conditions du live nous pouvons ratifier le fait que Léo Ferré est un chef d'orchestre comme les autres, dirigeant avec cohérence et énergie, ni plus, ni moins. Ce disque inattendu vient recoller les morceaux de l'histoire de Léo en mettant les choses à leur juste place ; il nous révèle le musicien qu'il était, qu'il aurait pu devenir et qu'il ne sera pas. Son renoncement, vécu comme une défaite, infusera néanmoins tout son travail à venir.
Alaric Perrolier – 2016