« Quand c’est OK
On fait l’ remake
Quand c’est loupé
On fait avec »
Musiciens (non-exhaustif) :
Arrangements & orchestrations : Jean-Michel Defaye, Paul Mauriat
Direction musicale : Jean-Michel Defaye, Paul Mauriat
Prise de son : Gerhard Lehner, Jean-Claude Pou-Dubois, RTF/ORTF
Conception & réalisation coffret : Mathieu Ferré & Alain Raemackers
Textes de présentation : Mathieu Ferré, Alain Raemackers
Coordination : Xavier Perrot
Dénicheurs de pépites : Daniel & Donatella Dalla Guarda (La poésie fout l' camp, Villon !)
Crieur du devoir & crédits musiciens : Alaric Perrolier
Crédits visuels : Hubert Grooteclaes (photos coffret & livret), Vital Maladrech (graphisme), André Gornet, Roland Carré, Herman Leonard, Jean-Pierre Sudre, Hubert Grooteclaes, Maurice Frot, Charles Szymkowicz (pochettes disques)
Un cycle s'achève, un autre commence ; l'heure est propice. Après une décennie mi-figue mi-raisin sur le plan de la notoriété, Léo Ferré intègre à l'âge de quarante-quatre ans la puissante machine commerciale et promotionnelle des Disques Barclay et va enfin rencontrer la large reconnaissance critique et publique à quoi il aspire, renouant avec le succès inaugural de Paris-Canaille et s’installant pour de bon dans le paysage culturel et médiatique français. L'artiste se plie au jeu de la séduction et du marketing – comme on ne l'appelait pas encore – tout en restant fidèle à lui-même, imposant avec panache la haute poésie dans le circuit de la marchandise spectacularisée, et sa personnalité anguleuse de transgresseur. Années paradoxales, faites de triomphes et d'accomplissements artistiques, mais aussi de routine, de renoncement, sinon de tarissement ; le livret du présent coffret vous en touche quelques mots.
Mathieu Ferré poursuit là son grand projet éditorial, entamé il y a deux ans avec le substantiel coffret La Vie moderne, cette fois-ci en bonne intelligence avec Universal. Tenez-le vous pour dit : jamais une « intégrale » n’aura proposé autant de contenu inédit d'un coup. Depuis maintes décades, les amateurs de Léo Ferré avaient dû se contenter de deux concerts officiels pour la décennie 60 : un Alhambra 1961 tronqué (16 titres sur la trentaine interprétée par l'artiste) et un Bobino 1969 quasi-complet, sans oublier un bout d'ABC 1962 (4 titres), alors même que Ferré, loin d'être un créateur dans sa tour d'ivoire, aura chanté sur scène inlassablement, année après année, et alors même qu'il existait des captations identifiées dans les « silothèques » de l'INA. Il y avait là un flagrant retard à rattraper, Léo Ferré étant le dernier grand artiste de la chanson à ne pas avoir encore bénéficié de la furia complétiste de notre époque archivistique.
C’est chose faite ici avec pas moins de dix concerts différents, riches en redécouvertes et surprises, enregistrés entre le 27 janvier 1961 et le 20 septembre 1967. Parti sur sa lancée, Ferré s’y fait d’abord accompagner par un petit groupe de musiciens à géométrie variable, dont le noyau dur a été assemblé par lui dans les années 50, avant de choisir le dépouillement en ne gardant qu'un pianiste, le « hibou sérénade » Paul Castanier. Qu’il s’agisse du décisif concert donné au Vieux-Colombier en janvier 1961, premier récital de Léo dans la capitale par quoi l'avalanche de la consécration va s'enclencher, du grand concert triomphal à l'Alhambra de novembre 1961 ici enfin dignement complété, qu'il s'agisse des inattendus Vieux-Colombier 64, Alhambra 65, Maison de la Radio 66 (préfiguration à vingt ans d'écart de la future tournée poètes de 1986 !), ou des retrouvailles avec Bobino en 1965 et 1967, force nous sera de constater que Léo Ferré ce n'est plus uniquement les beaux albums familiers que l'on sait ; c'est aussi un « chanteur de fond », un répertoire évolutif et néanmoins constant, forêt de mots et de notes aux cycliques piliers, irriguée des cent rus du passé vif encor ; un performer habile et labile, instinctivement mu par un naturel qui trouve à s'exprimer ex abrupto, plus rustiquement, plus librement peut-être qu'à travers la circonvolutive chambre à subterfuges du studio, le figement du marbre final.
Désormais, une large part du répertoire studio de Léo Ferré trouve son double scénique, retrouve sa dualité véridique, la chair vivante de sa pratique – ô joie des écoutes comparatives ! De quoi porter un regard décapé et mieux équilibré sur Léo Ferré, le créateur et le chanteur, le génie et l'homme de métier, l'artiste jugé parfois intimidant et le saltimbicou humain, si humain. Il serait dommage de passer à côté de ça, pas vrai ?!
Alaric Perrolier – 2020